Estivales du NPA Languedoc-Roussillon: La colonie industrielle d’Aniane (créée en 1885)

Profitons de ces journées d’été pour prendre les chemins de traverse, comme celui-ci qui nous fait remonter le cours du temps et nous mène à Aniane, dans l’Hérault, à la fin du 19e siècle. Pour une page d’histoire, pour sûr bien triste et assez méconnue.

Aux alentours de 1840, on avait créé la colonie pénitentiaire de Mettray que Genet immortalisera un siècle plus tard dans Le Miracle de la rose. La révolte des Canuts venait d’avoir lieu. Que faire de tous ces enfants miséreux, graines d’insécurité, s’interrogeait la bourgeoisie. Lombroso, le « savant » positiviste renommé, forgea les concepts de « criminel né », de « tare héréditaire », de « perversité constitutionnelle » qui firent alors fureur. (…) Une partie de la classe dominante, se voulant plus éclairée, cherchait une solution dans un retour à la nature qui mettrait ces chers petits à l’abri de l’enfer citadin avilissant. Épurer leur âme, l’affermir, l’éclairer, tel était le but que se fixaient les partisans de la « philanthropie sociale ».

Dans ces institutions privées et très catholiques, qui rompaient avec le disciplinaire à l’état brut, modèle, se concentraient toutes les techniques de contrôle du comportement anciennes et modernes. Cela tenait du cloître, de la prison, du collège, du régiment. On a dit de Mettray, ce bagne d’enfants, que c’était une prison dont les murs étaient des buissons de roses. On pouvait s’en évader très facilement, mais on était vite repris, chaque paysan recevant à cette époque une prime de cinquante francs par colon évadé qu’il ramenait ; la chasse à l’enfant avec fourches, fusils et chiens devint une véritable industrie dans la campagne alentour. (…)

La route des Cathares serpente près des Pyrénées. Tout au long, on a réprimé sauvagement ces hérétiques au XIIe siècle. Un peu plus haut, dans le Languedoc, il existe une route de citadelles où l’on a enfermé et puni la jeunesse délinquante. Elle commence à Toulouse avec le pénitencier du père Barthier puis passe près de Rodez, à la ferme de Combelles. Elle se poursuit par l’établissement de Sainte-Radegonde, puis celui de Pezet. Viennent encore la colonie agricole de Vailhauquès, le pénitencier du Luc, la colonie industrielle d’Aniane et, pour les filles, la Solitude de Nazareth. Dans un livre admirable, les Enfants du bagne (1), Marie Rouanet nous fait parcourir ce chemin de la honte où l’on trouve établissements publics et privés.

La plus tristement célèbre colonie de la région est celle d’Aniane, créée en 1885. Ici, il ne s’agit plus de réformer et de corriger par le travail des champs, mais par le travail industriel. Trente-cinq ans après leur création, on avait fini par se rendre compte de l’échec des colonies agricoles, les jeunes colons citadins revenant toujours à la ville. Et puis l’essor du commerce aidant et la main-d’œuvre des jeunes taulards étant peu coûteuse puisqu’on ne les payait pas, on décida de reconvertir la colonie agricole en exploitation industrielle.

La colonie d’Aniane, une espèce de château fort, était située au milieu du bourg, les habitants pouvaient donc entendre, lors des diverses rébellions, les cris des mutins. L’imaginaire de ce doux village est ainsi traversé de révoltes, de flammes et de sang. À la colonie d’Aniane, on travaille de 7 heures à 11 heures et de 13 heures à 17 heures. L’école, c’est après. En général, 65 élèves par classe ; les cours sont assurées par des sous-officiers à la retraite qui ont obtenu ces postes après la guerre de 14-18 au titre des emplois réservés. Les conditions de survie vont empirer au fil des ans, abus de travail, de châtiments, nourriture insuffisante. À Noël 1938, il y eut une révolte et l’évasion devint la hantise de l’administration.

Un vieux détenu d’Aniane a expliqué à Marie Rouanet qu’il avait vite compris le système : « Lâchez-nous des détenus et nous partagerons les primes », disaient les habitants du village aux matons. Un sou, c’est un sou ! C’est aussi à Aniane que furent installées des cages à poules suspendues au plafond, dans lesquelles étaient enfermés les détenus punis. Le système devait faire fortune plus tard en Indochine dans le bagne colonial de Poulo Condor. La hiérarchie était composée d’anciens militaires qui ne connaissaient que la trique et l’alcool. Depuis la grande révolte et son évasion massive, elle paniquait. Pourtant, en 24 heures, la patriotique population d’Aniane avait déjà ramené 18 des 25 fuyards.

Le 2 février 1945, la colonie d’Aniane devint une IPES (Institution publique d’éducation surveillée), mais on continua à y enfermer de tout jeunes collabos condamnés à des peines allant jusqu’à 20 ans de prison. Ce n’est que bien après 1950 que l’on put entrer dans ce bagne sans donner le mot de passe, tradition héritée du passé militaire de son encadrement.

À Aniane, comme dans ces autres bagnes, la peur et la mort étaient toujours présentes : « À Montlobre, jusqu’à la fermeture de la colonie, les jeunes détenus représentaient au moins la moitié des morts de tout le village, parfois les trois quarts, parfois plus encore », écrit Marie Rouanet (2). En quelques mots, elle rend compte de la destinée de quelques jeunes condamnés : « Il a été condamné à l’âge de sept ans pour vol jusqu’à dix-huit ans. Arrêté à dix ans pour vols simples, condamné jusqu’à dix-huit ans. Meurt à Vailhauquès à quatorze ans. A son arrivée, il mesurait un mètre » (3). Peut-être a-t-il finalement eu de la chance, cet enfant-là…

Notes

1 Les Enfants du bagne, Marie Rouanet, éd. Documents Payot, 1992.

2 Ibidem.

3 Ibidem.

Tiré de La colonie pénitentiaire pour enfants de Jean-Michel MENSION. L’auteur (1934 – 2006)), plus connu sous le pseudonyme d’Alexis Violet, était écrivain et ancien membre de l’Internationale lettriste. Il était membre de la LCR et collaborateur de son hebdomadaire Rouge.

Pour lire l’ensemble du texte: http://www.preavis.net/breche-numerique/article2076.html

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